Agenda
Réception de Franck Zinzindohoué
Edmond Estour, Frank Zinzindohoué
Discours d'Edmond Estour
Passé les 85 ans, j'ai vraiment compris la véracité des paroles de notre philosophe Théophraste de Bézaudun : "La vieillesse est un naufrage". J'ai décidé de ne pas laisser mon fauteuil vide au sein de notre compagnie. La section scientifique est actuellement très restreinte, en particulier parmi ceux qui pratiquent l'art délicat de la médecine…C'est pourquoi j'ai pensé nous adjoindre un brillant médecin, le Pr Zinzindohoué.
Franck est né en 1964 à Bordeaux, ville depuis toujours tournée vers le commerce, la marine et l'Afrique. Son père natif du Bénin était venu y faire ses études de médecine. Il poursuivit ses études en région parisienne et après de brillantes études, il s'engagea à son tour dans la carrière médicale. De ses multiples titres et travaux et reconnaissances scientifiques, médicales et honorifiques, je ne retiendrai que les plus prestigieuses et significatives du point de vue chirurgical.
Il est reçu à l'Internat des Hôpitaux de Paris en 1989, médaille d'or en 1995. Chef de clinique à la faculté et assistant des Hx, il est reçu en 2006 agrégé de chirurgie professeur des Universités. C'est l'époque où j'entends pour la première fois ce nom que l'on n'oublie pas. En effet, il collabore avec mon ami le Pr Jean Marc Chevallier à Pompidou. Nous mettions alors en coelio-chirurgie des anneaux gastriques contre l'obésité.
Pour ne pas blesser sa modestie, je vous renvoie à Internet pour la très longue liste de ses publications, titres et travaux. Si j'ai pensé à lui, c'est évidemment pour sa compétence au plus haut niveau en chirurgie digestive et cancérologique, mais c'est aussi parce que nous avons quelques points communs. Outre le fait d'avoir pratiqué la coelio-chirurgie et d'avoir opéré dans les même blocs à la clinique Pasteur, c'est surtout parce qu'il fait partie des chirurgiens résistants au système. Ces praticiens voyant leurs capacités mal utilisées ou mal orientées et souvent dans l'impossibilité de donner les meilleurs soins aux malades, ont renoncé à la position "jadis" prestigieuse et valorisante de professeur pour se libérer d'une administration devenue avec le temps de plus en plus envahissante et paralysante et pouvoir exercer leur métier dans des conditions plus satisfaisantes. En 1968, Philippe Mouret quittait H.E.H. pour fonder la Clinique de la Sauvegarde où il déclencha la révolution coelioscopique. À cette date, étant moi-même admissible à l'agrégation, mon Maitre le Pr Michaud me proposait le poste de professeur de Chirurgie Thoracique à la faculté d'Alger...
J'hésitais peu de temps et sautais sur l'offre de la Clinique Saint-Joseph et ses 80 lits de chirurgie-maternité. Ce qui me permit plus tard de m'investir totalement dans la défense de la coelio-chirurgie.
C'est pour des raisons analogues, en particulier pendant la révolution coelioscopique, que dans notre seule région Le Pr JG Balique quitte l'hôpital Bellevue à Saint-Etienne Le Pr Lointier quitte l'hôpital de Clermont-Ferrand Le Pr Cougard quitte l'hôpital de Dijon ainsi que nombre d'autres collègues dans des Hx non Universitaires.
Franck Zinzindouhé a aussi connu la période qui a vu à L'A.P.-H.P. (Assistance publique-Hôpitaux de Paris) les suicides du professeur de cardiologie J. Louis Megnien et du professeur de chirurgie Christophe Barrat à Bobigny. C'est dans ce contexte que Franck quitte Paris pour faire bénéficier la Drôme de ses capacités.
Il va rejoindre ainsi parmi les anciens membres de notre Académie trois professeurs de chirurgie, mon maitre le Pr Paul Santy, les Pr de Rougemont et de Vernejoul.
Pour conclure, c'est pour ses qualités humaines et ses qualités professionnelles exceptionnelles qui lui valent le qualificatif dans le langage carabin des grands internats de "grand couteau" ou plutôt de "fine lame"… que je pense qu'il est tout à fait digne d'intégrer notre Compagnie et que je vous prie de le recevoir dans la section sciences.
Réponse de Franck Zinzindohoué
Madame la présidente,
Mesdames et Messieurs les membres de l'Académie drômoise,
Mesdames et Messieurs,
Cher Edmond,
C'est par votre suffrage que je me présente aujourd'hui devant vous, après que le Docteur Edmond Estour vous ai proposé ma candidature, et que soumise à votre approbation vous l'ayez retenue pour ma réception aujourd'hui. Je vous en remercie. Je vous remercie pour mon accueil parmi vous, et pour l'honneur que vous me faites en m'accordant votre confiance. Il n'y a pas cinq ans d'ici, je me trouvais encore dans le sérail académique des universités parisiennes. Dans ses services de chirurgie dits de recours où la performance quotidienne efface l'humain qui disparait derrière le cas de pathologie où la technique chirurgicale qui réduit la personne à la colectomie d'hier ou la caner du foie prévu pour demain. Je me considérais alors d'un oeil critique et inquiet tant mes aspirations et mes projets des premières années de mon exercice chirurgical me semblaient révolues et peu à peu reniées. Je ne me sentais plus d'enseigner un Art chirurgical que je n'étais plus en mesure d'exercer au service de mes patients. Je te remercie Edmond pour cette présentation très élogieuse et trop flatteuse que tu as faite de moi. Je voudrais recontextualiser ma présence parmi vous car parlant de moi, elle te concerne tout à fait, Edmond et ton choix en me proposant pour siéger à ta place parle de toi, de l'homme, de la personne que tu es et bien entendu du chirurgien dont il s'agit.
Tu naquis le 8 octobre 1936 à Fleurieux sur l'Arbresle dans le Rhône.
Externe des Hôpitaux de Lyon nommé au concours 1954, puis Interne des Hôpitaux de Lyon au Concours 1957 c'est en 1964 que tu présentais ta thèse d'exercice de doctorat en médecine pour prendre un poste de chef de clinique à la faculté de Médecine de Lyon ainsi qu'un assistanat des Hôpitaux. Et je naissais cette année-là. J'entrais dans la vie lorsque tu entrais de plein pied dans la chirurgie. Esprit brillant et tempétueux, tu brassais les idées nouvelles et les aventures académiques ce qui te permit d'être admissible à l'agrégation de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire dès 1965. Tu fus tour à tour chirurgien de garde à l'Hôpital Édouard Herriot de Lyon, chef de Service de chirurgie de l'Hôpital de Montélimar jusqu'en 1968, collaborateur technique dernier échelon des Enseignements Supérieurs jusqu'en 1978 et chirurgien à la Clinique Saint-Joseph de Valence jusqu'en 2001 puis tu terminais ta carrière à la clinique Pasteur. Tu as eu le privilège extraordinaire de participer à l'avènement mondial de la coeliochirurgie qui est née à partir de 1983 en Auvergne Rhône-Alpes. Secrétaire général de la Société Française de Chirurgie Endoscopique, et secrétaire général de la Fédération Internationale Francophone de coeliochirurgie, tu as fondé puis dirigé la publication du Journal de coeliochirurgie lorsque en 1992 je n'étais encore qu'interne des Hôpitaux de Paris à cette date.
À cette époque, les Mandarins parisiens des grands services de chirurgie méprisaient ces chirurgiens des "petits trous" qu'ils frappaient d'anathème. Tu décris mieux que personne ce qui se passait alors, et le choix de ceux qui décidaient de quitter des carrières universitaires pour rester fidèles à leurs aspirations de progrès pour le genre humain. Car depuis ce temps, la coeliochirurgie s'est répandue à la surface de la terre, partie d'ici elle se répandit partout. Certes, la chirurgie est la discipline humaine la plus dangereuse après la guerre, et les progrès ne se firent pas toujours sans difficultés ni sans drame, volontiers au prix de doutes, de regrets peut-être et de remords parfois mais qui ne furent jamais criminels car c'était de bonne foi dans la découverte d'une discipline nouvelle.
Ta présence à Valence, dans l'équipe de la clinique pendant des années a fait profiter tes collègues et les patients qui se confiaient à vous des meilleures avancées techniques lorsque ceux qui partaient à Lyon ou à Grenoble était bien opérés eux aussi, mais balafrés au retour.
Eh bien ce progrès nous réunit, Edmond. Il n'y a aucune raison de devoir partir loin de chez soi et des siens pour bénéficier d'une prise en charge aux meilleurs standards actuels. À côtés des centres de références, il faut garder un maillage d'excellence comme tu l'avais développé à Valence. Je me souviens de ce collègue parisien qui parlait de son activité en termes convenus et s'exclamait en arpentant le service : "big is beautiful". Mais parler anglais pour la circonstance n'apporte que de la fatuité selon moi. Alors, je dirais en français que ce qui est petit est mignon. Je rappellerais aussi la leçon de bon sens de l'un de mes maitres qui s'opposait au centre de références devant s'hyperspécialiser sous prétexte que le nombre ferait la qualité. Il disait ingénument que ce n'est pas au pied des pistes de ski que se trouvent les meilleurs orthopédistes. Quant à moi, je suis aujourd'hui valentinois, heureux et fier de siéger à ta suite, Edmond.
Je souhaite apporter à votre assemblée ma convivialité et un regard parfois technique sur des points d'actualités dont vous auriez la curiosité. Je me souviens d'une période COVID pas si lointaine au cours de laquelle, comme aux pires heures des grandes épidémies de la peste noire, beaucoup confondirent esprit scientifique et croyance, parfois pour l'unique attrait de leur prestige. La science n'a pas la prétention de connaître ni de détenir la vérité, elle a vocation à expliquer et se vante seulement de pouvoir argumenter ses avis. Il n'est pas condamnable de ne pas savoir, il est regrettable de ne pas chercher à connaitre ou de rechercher son intérêt opportunément par un prestige qui se lirait au soin, alors qu'un service n'élève que ceux qui s'y consacrent généreusement.