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Réception de Françoise Bourdon
Françoise Bourdon, Colette Brun-Castelly
Discours de Colette Brun-Castely
C'est pour moi un très grand honneur que d'être la marraine de Françoise Bourdon pour son entrée à l'académie des Lettres, des Sciences et des Arts de la Drôme. Nous nous sommes rencontrées à Nyons au cours du salon Lire en mai, elle derrière ses tas de livres, 30 romans à ce jour, et devant la file de ses lecteurs en attente d'une dédicace, moi, à l'organisation du salon et aussi à la promotion de mes derniers opus. Nous prenons plaisir à échanger sur nos histoires personnelles, nos sources d'inspiration, notre bonheur de vivre dans cette belle région, à l'extrémité sud de la Drôme provençale.
Originaire des Ardennes, Françoise est née à Mézières. Elle a aussi des origines lilloises, rémoises et limousines. Elle développe dès l'enfance le goût de l'écriture et rédige son premier roman à l'âge de dix ans. Son goût pour les livres lui vient de sa mère et de sa grand-mère grandes lectrices. Celles-ci constituent des modèles de femmes à la fois ouvertes à la modernité et à l'émancipation, mais contraintes par les usages sociaux de la première partie du XXe siècle à se cantonner à des tâches subalternes.
Professeure de droit et d'économie, elle décide, après dix-sept ans d'enseignement, de se consacrer exclusivement à sa passion, l'écriture. D'abord comme journaliste depuis 1993 ; elle publie régulièrement des nouvelles dans plusieurs revues. Elle collabore à la revue Les Veillées des Chaumières, notamment dans la rubrique le billet de Françoise mais surtout dans la série La maison de Valentine.
Son premier roman, Les Dames du Sud, paraît en 1986 chez RTL Éditions. À ses débuts, Françoise Bourdon s'est beaucoup inspirée de sa région natale ; citons La Forge au loup en mémoire de son grand-père, engagé volontaire à dix-sept ans, en 1915. Ou encore Tisserands de la Licorne publié en 2005.
Puis elle descend vers le sud, où elle reprend son souffle, aux deux sens du terme : des bienfaits pour sa respiration et aussi pour son inspiration. Dans la préface de son livre Retour au Pays bleu, elle nous confie ce souvenir lié à son livre de lectures lorsqu'elle était une petite écolière : "J'avais gardé en mémoire sa couverture aux couleurs de Monet, jaune et bleue, illustrée d'un double parasol à l'ombre duquel deux enfants bavardaient. Je me souvenais aussi du titre Au pays bleu. Je ne savais pas alors, que je quitterais mes Ardennes natales pour nous installer en haute Provence, là où les champs de lavande reflètent le ciel dans un camaïeu de bleu. Et j'ai su que j'appellerais mon prochain ouvrage Retour au pays bleu. Car d'une certaine manière, il s'agit de retrouvailles avec le pays dont j'ai tant rêvé enfant. Là où je ne suis pas née mais où j'ai choisi de vivre "le reste de mon âge."
Sa terre d'adoption c'est Nyons. Sa fille Caroline a fait ses études au Collège Barjavel puis au Lycée Roumanille. Françoise et Jean Marie, son époux se rendent aujourd'hui fréquemment à Saint-Étienne auprès de leur fille et de leurs petits-enfants. Françoise puise dans la Loire de nouvelles sources d'inspiration.
Je n'ai pas lu toute l'œuvre de Françoise mais une bonne dizaine de ses romans. Je comprends l'engouement des lecteurs pour ses livres : des sagas aux titres qui fleurent bon la nature. Citons comme exemple Le bois de lune, ou encore La fontaine aux violettes d'autres titres évoquent des lieux, la Drôme avec Les bateliers du Rhône, les contreforts du Ventoux avec La Figuière en héritage, Valréas et Nyons dans La combe aux oliviers. D'autres annoncent des drames Le fils maudit, des espoirs Les roses sont éternelles.
Je me suis amusée à regrouper les mots composant les titres de ses romans par catégorie. Au registre des éléments naturels, on trouve : la lune, le vent, l'aube, la roche, les bois, les sources… Les chemins, les sentiers, la combe, invitent le lecteur à suivre ses personnages sur les routes de la vie dans le Pays bleu, peuplé d'amandiers, d'oliviers, de tilleuls et de cyprès. Les violettes, les roses et les lavandes apportent leur note olfactive. Certains titres font allusion aux métiers d'antan : forgerons, ardoisiers, tisserands, bateliers, cartonniers et cartonnières ; d'autres aux lieux de vie des personnages : les mas, moulins, granges, jardins et cours. Ils annoncent des ancrages géographiques plus ou moins précis : le Castelar, Rochebrune, le Rhône, la Provence.
J'ai aussi observé les incipit : ils constituent autant de clins d'œil aux auteurs dont elle s'est inspirée : Philippe Jaccottet, Paul Jean Toulet pour les moins connus, Goethe dont elle reprend un extrait de poème À travers la nuit et le vent pour le titre d'un de ses plus beaux romans.
La citation de Sophocle rendant hommage à l'olivier "Cet arbre invaincu, qui renaît de lui-même" introduit magistralement le roman de Françoise, La combe aux oliviers. Je vous propose d'en découvrir les premières lignes : "Mai 1917 Un vent léger agitait le feuillage argenté des champs d'oliviers, le faisant frissonner, comme animé d'un souffle propre. Les tanches, les olives du nyonsais moutonnaient sous la brise, solidement plantés dans la terre caillouteuse, en belle harmonie avec les chênes et les genévriers. Chaque fois qu'il contemplait ses arbres, Ulysse songeait à son grand-père, et aux générations de Valentin qui s'étaient succédé à la Combe aux Oliviers, domaine du pays nyonsais. Tous avaient l'arbre sacré en partage..."
Ouvrir un livre de Françoise Bourdons et s'y plonger, c'est vivre des moments de grande intensité, tant on est emportés par le souffle de vie qui émane de ses personnages, des hommes passionnés par leur métier, des femmes courageuses, attachées à la terre, hommes et femmes englués dans des destins tout tracés dont ils et elles s'extraient la tête haute, emportés à travers la nuit et le vent.
Comme le soulignent les quatrièmes de couverture de ses romans, publiés alternativement chez Calmann Lévy ou les Presses de la Cité, son écriture limpide touche toujours le cœur des lecteurs, d'autant plus que de belles histoires d'amour se nouent, inscrites dans la grande Histoire qui s'ingénie à les dénouer, après les drames qu'elle provoque : soulèvements révolutionnaires, guerres, séparations et pertes. C'est ce mélange de raisons et de sentiments qui a conduit la chaîne France 2 à adapter le très beau roman de Françoise, Le mas des tilleuls sous le titre Et la montagne fleurira.
Pour sa connaissance fine du patrimoine drômois et de son histoire, pour son grand respect des personnes réelles et fictives qui peuplent ses livres, pour son talent d'écrivaine, Françoise Bourdon, qui a déjà été distinguée par quelques titres honorifiques, dont la Targa Jean Giono en 2016 et les médailles de chevalier du Tilleul et celle de chevalier de l'Olivier de Nyons, mais aussi pour sa gentillesse et la sympathie qu'elle inspire, mérite amplement de faire partie de notre Académie, ce dont nous nous réjouissons.
Réponse de Françoise Bourdon
Madame la Présidente,
Mesdames les Académiciennes, Messieurs les Académiciens,
Chère Marraine,
C'est avec beaucoup d'émotion que je m'adresse à vous ce matin.
Je n'aurais jamais osé imaginer, en effet, avoir l'honneur d'intégrer l'Académie des Lettres, des Sciences et des Arts de la Drôme, et vous en remercie infiniment.
Drômoise d'adoption et de cœur, loin, bien loin de mes Ardennes natales, je suis particulièrement touchée d'être reçue parmi vous à Nyons, dans la ville où nous avons choisi de nous installer ma famille et moi il y a plus de 20 ans, dans le Pays Bleu dont je rêvais étant enfant.
Touchée, et fière, d'être honorée dans la Maison des Huiles d'Olive et Olives de France, tout un symbole !
Comme mon amie Colette, qui m'a fait l'honneur et l'amitié de présenter ma candidature, l'a rappelé, j'aime les oliviers. Nos oliviers Nyonsais, tout particulièrement, merveilleux symboles de paix et de renaissance après le terrible gel de 1956.L'un de mes personnages dans La Combe aux Oliviers l'affirme : "Nos oliviers ne nous appartiennent pas. Ils nous font l'honneur de se plaire sur notre terre."
À propos d'oliviers… j'ai un souvenir qui me fait chaud au cœur lorsque je traverse un moment de doute (ce qui nous arrive à nous écrivains, plus souvent qu'à notre tour !). C'était à L'Isle-sur-la-Sorgue où je donnais une conférence sur la garance. Assistance nombreuse, attentions touchantes : on présentait dans la salle un uniforme de 14 avec le fameux pantalon rouge garance, plusieurs fourches à garance ainsi que le portrait de Jean Althen. À la fin de la conférence, une jeune femme vint me glisser à l'oreille : "Nous venons du Nord, comme vous. Nous avons acheté une maison ici, entourée d'oliviers. Et j'ai appelé le plus ancien "Noé".
Noé, comme dans mon roman La Combe aux Oliviers. Un beau cadeau, que je n'ai pas oublié.
Passionnée d'histoire, comme nombre d'entre vous, je m'attache depuis des lustres à faire revivre le passé de terre d'accueil de la Drôme.
Que ce soit à Nyons, à Dieulefit, à Saint-Donat sur l'Herbasse ou à Buis, les Drômois ont accueilli des réfugiés de toutes nationalités, de toutes religions.
J'aime à penser que cette tradition d'accueil fait partie de l'ADN de cette terre.
Terre d'accueil, donc, mais aussi terre de mémoire. J'ai déjà consacré six de mes romans à mon département d'adoption, en ayant le sentiment d'être un "passeur". Passeur d'histoire, passeur de mémoire…
Il existe une très jolie citation d'Henri Bergson à ce propos : "La mémoire, c'est comme le son qui continue à se répercuter après que le son s'est éteint."
Et qui continue à vivre en nous...
Il en est ainsi des chemins de mémoire, comme le Sentier des Huguenots, initié par l'un de nos académiciens, Johannes Melsen.
J'ignorais, le jour où j'ai visité le Musée du Protestantisme dauphinois du Poët-Laval, il y a maintenant près de 25 ans, visite qui a suscité en moi le désir d'écrire une saga historique sur les huguenots, que je rejoindrais bien plus tard les rangs des Académiciens de la Drôme.
"Il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rendez-vous", affirmait Éluard.
En tout cas, le Sentier International des Huguenots, allant du Poët-Laval à la cité de Bad Karlshafen et son Musée des Huguenots Allemands, constitue un bel exemple de mémoire, et de résilience.
Et sa fréquentation ne cesse de croître !
Je porte en moi de nombreux projets que je peaufine en marchant parmi les oliviers.
Deux me tiennent particulièrement à cœur :
L'un axé sur l'exil d'une centaine de Drômois en Afrique du Sud à la fin du XVIIe siècle.
L'autre traitant de l'existence passionnée d'une célèbre Valentinoise, grande amie de Mistral.
Notre cher Mistral qui, à la fin de sa vie, déclarait : "Nyons, derrière le Ventoux, c'est le véritable berceau du Félibrige."
Tout est dit…
En ce jour particulier, je pense très fort à mes parents et à mes grands-parents qui m'ont toujours soutenue.
Je pense à mon éditrice "historique", Jeannine Balland.
À Eva Thomé, écrivain ardennaise, femme et résistante (vous l'aurez compris, ces trois précisions ont de l'importance pour moi !) qui m'a encouragée à poursuivre mon chemin d'écriture alors que j'avais 10 ans.
Si vous le permettez, j'aimerais adresser un salut cordial à l'un des académiciens de la Drôme, P.J. Bonzon, auteur des Six Compagnons de la Croix-Rousse et de tant de livres parus dans la Bibliothèque Verte, que j'ai lus avec bonheur dans mon enfance.
C'est comme si, brusquement, j'étais passée de l'autre côté du miroir…
Je dis un immense merci, du fond du cœur, à mon mari et à notre fille qui ont toujours cru en moi, m'ont accompagnée, encouragée, alors que je cultive à plaisir doutes et angoisses.
Merci à Clarisse, mon éditrice, et à toute l'équipe des Presses de la Cité.
Merci à "mes" libraires, à commencer par mes préférés, ceux de Nyons, Pascale et François.
Merci à mes amies fidèles, Marie-Delphine, Mariette, Alysa, Françoise.
Merci à ma marraine, Colette Brun-Castelly, avec qui j'aime à échanger à propos du passé et de nos projets.
Merci à mes lectrices et à mes lecteurs, que je suis si heureuse de retrouver après les années Covid.
Merci à notre présidente, Annie Friche, à vous toutes et tous, chers collègues.
Merci pour votre chaleureux accueil.
Je rejoins vos rangs avec un immense plaisir.
Diaporama
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