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Réception d'Alain Planet
Discours par Annie Friche
Cher Alain
Nous étions plusieurs à vouloir te parrainer mais c'est à moi - qui t'ai connu en premie r- que revient la lourde tâche d'être ta marraine.
Quel ton adopter ? Distant, protocolaire comme l'exige ta fonction ou simple et direct, comme quand on s'adresse à un condisciple ?
Il va sans dire que j'ai opté pour la deuxième solution.
J'ai beaucoup de mal à voir en Alain Planet l'évêque de Carcassonne et Narbonne et à l'appeler Monseigneur. Il reste pour moi le jeune étudiant bavard et rieur que j'ai cotoyé dans les années 60-70 au lycée Albert Triboulet de Romans puis à la faculté de lettres de Grenoble. Il n'a pas beaucoup changé d'ailleurs : un peu d'embonpoint - le cassoulet est redoutable -, la calvitie inévitable d'un homme de son âge, un peu moins bouillonnant - on dit aujourd'hui hyperactif -, mais toujours ce beau sourire, bienveillant et spontané, et des yeux bleus qui pétillent.
Il conduisait une 2CV, il était l'ami de Jean-François Mazade, le neveu de Jacques, décédé en 2019, qui était amoureux depuis l'adolescence de Catherine, ma meilleure amie. Alain est revenu pour célébrer la messe d'enterrement à l'église de Bourg-de-Péage et c'est là que je l'ai revu, de loin, cinquante ans plus tard, sans oser aller le saluer car son titre d'évêque le mettait à distance, mais satisfaite de voir qu'il n'avait pas oublié Romans et ses camarades de lycée.
Jean-Noël me répétait depuis plusieurs années qu'il manquait à l'Académie un ecclésiastique et un militaire. Jadis le préfet et l'évêque étaient membres de droit dans les sociétés savantes. L'usage s'est un peu perdu dans la Drôme. En 1957, l'abbé Louis Boisse, curé de Les Granges Gontardes et le chanoine Auguste Quiot font partie des membres fondateurs de l'Académie drômoise. L'académie a reçu l'abbé Froment en 1958, le pasteur Boegner en 1968, le père Jean de la Croix Bouton d'Aiguebelle en 1988, l'abbé Raoul Lambert des Cilleuls en 1994, l'abbé Robert Ferrier en 1997… puis plus personne depuis 25 ans ! Difficile de trouver des successeurs car ces prêtres, outre leurs fonctions religieuses, étaient aussi de vraies personnalités et des historiens ou philosophes de renom. Mais en entendant parler Hélène de son "3615 iconographie", en écoutant Jean-Noël qui reconnaissait en Alain Planet un redoutable historien, je me suis dit à la réflexion que cet homme-là était tout à fait celui qui devait rejoindre notre académie. Encore fallait-il qu'il accepte ! Alain Balsan, un homme qui fait autorité à Valence, s'est chargé des premiers contacts. J'ai fait le reste du chemin en allant le rencontrer à l'évêché de Carcassonne en juillet de cette année. Une étape chaleureuse sur la route de Bordeaux où j'allais fêter la communion privée de mes petits-enfants jumeaux et l'anniversaire de leurs dix ans. Nous avons parlé toute la soirée. Les honneurs et les titres ne l'ont pas changé, tout va bien !
Petite précision tout de même :
Pour les militaires, je vais attendre encore un peu…
Alain Planet est né le 18 novembre 1948 à Privas mais a très vite habité Romans. Son père, Émile, né en 1923 à Saint-Julien-en-Saint -lban en Ardèche et décédé à l'âge de 80 ans, était agent du Gaz de France. Les Romanais de souche parlent encore de la "côte du gaz" ! Fils unique, Alain était très proche de sa mère Yvonne, qu'il a dû laisser seule dans sa maison ardéchoise en 2004 pour partir dans l'Aude, à près de 350 km, et devenir le 87e évêque de Carcassonne et Narbonne, qui a pour devise Si Dieu est pour nous, qui est contre nous?
Elève à l'école puis au collège des Maristes à Bourg de Péage de 1954 à 1963, il termine sa scolarité au lycée Albert Triboulet à Romans où il passe son bac en 1966. Puis il rejoint l'université de Grenoble pour des études de lettres modernes. Finalement, avec le système des équivalences, il choisit le droit, qui lui convient mieux. Titulaire d'une licence en 1970, il réussit le CAPES de lettres modernes. Retour au pays : il commence par être professeur de lettres aux Maristes de 1970 à 1977 puis directeur du lycée Saint-Maurice à Romans de 1975 à 1977. Il se plait à dire que l'institution des Maristes à Bourg-de-Péage lui a appris à être chrétien et que le chemin qu'il a fait au Bureau de l'Union mondiale des Anciens élèves a été déterminant dans sa formation. C'est là aussi qu'il a reçu ses premières responsabilités et qu'il a réfléchi à l'exercice du pouvoir.
De 1977 à 1981, il est séminariste à Saint-Irénée à Lyon. Il s'inscrit à l'Université catholique de Lyon et suit des cours de théologie jusqu'en 1988, où il obtient une maîtrise de théologie. Le 24 mai 1981, à l'âge de 32 ans, il est ordonné prêtre pour le diocèse de Valence, où il reste jusqu'en 2004. Après avoir été pendant sept ans délégué épiscopal chargé de l'aumônerie de l'enseignement public de Valence, il est responsable de la pastorale des vocations et de la pastorale sacramentelle et liturgique du diocèse, tout en ayant un ministère paroissial à Valence. De 2003 à 2004, il devient curé modérateur de l'équipe des prêtres de la paroisse Notre-Dame-du-Rhône, à Montélimar. Il a 55 ans quand il est nommé par le pape Jean Paul II évêque du diocèse de Carcassonne et de Narbonne le 24 juin 2004 et arraché brutalement, en l'espace de 48 heures, à la Drôme où il se trouvait bien et pensait finir son sacerdoce. Il est consacré le 19 septembre de la même année par Mgr Guy Thomazeau, archevêque de Montpellier, assisté de Mgr Jacques Despierre, son prédécesseur et de Mgr Jean-Christophe Lagleize, évêque de Valence. La cérémonie se passe dans le théâtre antique de la Cité de Carcassonne, devant plus de 2500 fidèles. Rien à envier à une rock-star ! Il a succédé depuis 2018 à Mgr Guy Thomazeau comme chapelain général des associations françaises de l'ordre de Malte.
Alain quittera sa fonction en 2023, comme c'est l'usage à l'âge de 75 ans. Il a prévu de loger chez les Chartreux à La Croix-Rousse à Lyon. Il ne sera plus qu'à une demi-heure en TGV de la Drôme où nous espérons le voir souvent et le mettre à contribution, car il aura enfin le temps d'écrire… Je vous demande donc d'accueillir comme membre titulaire de l'Académie drômoise Alain Planet, un homme d'église éminent, un humaniste mais surtout un historien, un très fin connaisseur de la Drôme, qui est déjà, de fait, par sa fonction coprésident né de l'Académie des Arts et des Sciences de Carcassonne.
Réponse par Alain Planet
Madame la Présidente, Chère Annie, Chers Académiciens drômois,
Merci de ces mots d'accueil qui me ramènent fort loin dans mon histoire, au temps heureux où, jeune idiot, j'essayais d'attirer l'attention des jeunes filles par un des seuls moyens dont je disposais : les étourdir par un flot de paroles (que je croyais très spirituelles) et les faire rire. Les résultats ont été faibles mais je vois que la mémoire en est restée. Oui, merci pour ces mots qui me ramènent à un pays que je n'avais jamais oublié mais qui s'était fait plus lointain, ce pays qui se confond d'abord avec mon enfance, et peut-être est-ce cette enfance qui est le vrai pays si l'on en croit ce qu'écrivait Antoine de Saint-Exupéry, dans Pilote de Guerre : "Je suis de mon enfance comme d'un pays". Et souvent ce sont les goûts de notre enfance qui ont construit les choix de notre vie, lui ont donné forme et ont conditionné nos rencontres.
Cette phrase m'est revenue lorsque, recevant l'invitation d'Alain Balsan à rejoindre l'Académie drômoise, j'ai parcouru l'annuaire des académiciens. J'y retrouvais une foule de noms et de visages familiers qui de mon enfance à mon départ de la Drôme, en 2004, ont accompagné d'une façon ou d'une autre ma vie, même parfois sans que nous nous rencontrions mais parce que j'avais lu ou contemplé leurs œuvres. Et sans doute est-ce pour cela que j'ai eu la faiblesse d'accepter la proposition, alors même que je n'ai guère de titres à siéger dans cette savante et experte assemblée.
Ce peu de titres me pèse encore plus au moment d'être reçu de conserve avec vous Monsieur l'Ambassadeur, ce qui me rassure un peu c'est me souvenir de l'accueil que vous m'aviez réservé, ainsi qu'à mes frères les nouveaux évêques, à la villa Bonaparte, en octobre 2005. Nous nous étions alors entretenus de nos connaissances romanaises et péageoises et l'Isère alors se jetait dans le Tibre.
C'est une passion d'enfance qui, si j'ai bien compris, me conduit à siéger parmi vous. L'histoire, en effet, fut une passion dévorante pour le petit garçon que j'étais. Encouragée par mon grand- père paternel, soutenue par mes parents elle me prit beaucoup du temps que j'aurais dû accorder aux matières scientifiques où je n'excellai pas. Ce fut la crainte de la géographie -qu'il fallait étudier avec l'histoire à l'université- qui me fit obliquer vers les lettres où je multipliais les certificats à dominante historique. Le droit ne s'étant ajouté que parce qu'il était prudent de remplir mon emploi du temps et parce que l'histoire du droit (celle des constitutions surtout) m'attirait. Mais c'est ici, dans le clos Saint-Victor, que l'étude universitaire de l'histoire m'a rejoint. Les Sœurs du Saint -Sacrement, connaissant ma manie, m'avait demandé d'étudier leurs origines. Peu sûr de moi, je m'adjoignis un vrai historien, l'abbé Bruno Martin qui venait de publier une Histoire de Tamié qui fait toujours référence. Notre travail fut connu de l'Université catholique de Lyon (où Bruno enseigne encore) qui nous poussa à commencer des thèses conjointes, tandis qu'à l'Etat nous étions inscrits à l'Université de Saint-Etienne. Ce furent cinq années de passion partagée (en dehors des heures consacrées au ministère) où j'appris vraiment la recherche historique et me familiarisais avec les sources. Cinq ans au bout desquels nos évêques respectifs -qui avaient besoin de nous semble-t-il- nous demandèrent de renoncer à la rédaction et à la soutenance pour prendre en charge la pastorale des centres-villes de leurs villes épiscopales et donc de leurs cathédrales. En lisant une des dernières livraisons de la Revue drômoise j'ai retrouvé une remarquable évocation d'un épisode de notre histoire locale sur lequel nous avions travaillé, Les débuts du séminaire de Valence, sous la plume de Vincent Chaballier que j'espère bien rencontrer un jour. Comme j'espère pouvoir donner à la revue quelques lignes sur le contexte de ces débuts et de leur suite.
J'évoquais les visages de ceux parmi vous qui avez accompagné ma vie en Drôme, je dirai ici mon émotion de succéder à Robert Ferrier, Raoul des Cilleuls qui furent des amis, à Jules Froment qui impressionna mon enfance, et la confusion que me causent les noms de Jean de la Croix Bouton et plus encore de Marc Boegner. Mon regret c'est que je ne pourrai pas continuer un rôle que mon ami Louis Pouchoulin aimait m'attribuer dans les colloques où il me produisait : celui de pendant en garniture de cheminée avec Jean-Noël Couriol, "celui qui croyait au ciel, celui qui n'y croyait pas". Nous ne nous sommes, hélas, jamais rencontrés qu'en nous croisant, j'aurais aimé poursuivre avec lui la discussion sur ces points d'histoires que nous évoquions en parallèle et où tout nous réunissait.
J'espère ne pas trop décevoir votre choix et j'essaierai de collaborer de mon mieux à vos travaux. Doucement pour les deux ans qui viennent, plus sérieusement -si Dieu me prête vie- pour les années suivantes. Mais en fait je viens surtout pour vous parce que c'est en vous mon pays -et d'une certaine façon- mon enfance que je retrouve.
Merci de tout cœur.