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Agenda

Réception

le 20 juin 2015

Réception d'Anne Mazuray

Lucien Dupuis, Anne Mazuray

Le 20 juin 2015 à Pont-de-Barret, l'Académie drômoise accueillait un nouveau membre, Anne Mazuray.

Discours de réception de Lucien Dupuy

Est-ce parce qu'elle voulait devenir ethnologue et qu'on l'en a dissuadé, " ce n'est pas un métier de fille ! ", qu'Anne Mazuray, dite Annie… au fait pourquoi ?... est devenue féministe ?

Peut-être, mais aussi et surtout parce que son milieu familial était un terreau particulièrement riche et propice à l'engagement militant. Bon sang ne saurait mentir !

Qu'on en juge…

- Un grand-père maternel, historien réputé et respecté, Albert Mathiez, spécialiste de la Révolution française. D'origine modeste, fils d'un paysan franc-comtois, Albert Mathiez est devenu professeur d'histoire à la Sorbonne après des études secondaires et supérieures brillantes.

- Un autre grand-père, Félicien Challaye, agrégé de philosophie, compagnon de Savorgnan de Brazza, lui-même grand voyageur, chantre de la décolonisation et ami de Bourguiba…

- Une grand-mère, Jeanne Boudot, militante féministe qui a accompagné la petite Anne à travers Paris et ses lieux culturels.

- Des parents avocats, militants de la Ligue des Droits de l'Homme et engagés politiquement. Le père, un temps collaborateur d'André Baumel, chef de cabinet de Léon Blum a été éloigné de sa fille pendant cinq années où il était prisonnier de guerre. La mère, Hélène Mathiez, proche du Dr Weil Hallé, créatrice du Planning Familial, a très tôt fait lire la sulfureuse Georges Sand à sa fille…

Élevée dans un tel bain d'histoire, de philosophie, d'engagement politique et de féminisme, la petite Anne ne pouvait s'en échapper… ce qu'elle n'a jamais cherché à faire d'ailleurs !

Etudiante à la Sorbonne, Anne prend des responsabilités au sein de la section géographie de l'UNEF. Elle milite contre la guerre d'Algérie et fait connaissance avec la violence des troupes de Jean-Marie Le Pen venues d'Assas qui engagent le dialogue à coups de chaînes de vélo.

À l'âge de 24 ans, Anne réussit l'agrégation. La jeune historienne, nommée à Verdun va dispenser son premier cours sur la guerre de 1914 ! Tout un symbole. Elle ne reste que deux années dans cette ville qu'elle trouve " froide et humide et rejoint Grenoble où l'attire une passion héritée de son père : la montagne, le ski et l'alpinisme.

Grenoble… la montagne… le ski… et la rencontre avec Guy Maruray qui allait devenir son mari. Tous deux forment alors ce qu'elle appelle " une solide cordée". L'un et l'autre partagent la même vision de la société, les mêmes pensées, les mêmes engagements et les mêmes loisirs. Nommée à Valence au lycée Camille Vernet, Mme Mazuray y restera 33 ans.

Sollicitée dès la création des classes préparatoires HEC, elle enseignera à Camille Vernet jusqu'à sa retraite.

Mais vous l'avez compris, la sève féministe et militante qui bouillonne en elle l'entraîne dans un engagement que je qualifierais de multipolaire orienté. Un engagement multipolaire parce qu'il va s'exercer dans plusieurs domaines, mais orienté parce qu'il sert toujours les mêmes objectifs : la lutte contre les injustices, contre les discriminations de toutes sortes et contre les inégalités.

D'abord, Anne va prendre des responsabilités dans le syndicalisme enseignant à Valence et dans la Drôme. Puis, héritière des idéaux de sa mère, elle accepte la présidence du Planning familial. Elle s'engage aussi dans une association conventionnée avec l'État qui lutte contre les discriminations sexistes et pour la promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes, le CIDFF (Centre d'information sur les droits des femmes et des familles). Elle en est toujours administratrice.

En 1789, les citoyennes Mme Roland et Olympe de Gouges déclarent que "si la femme a le droit de monter sur l'échafaud ; elle doit avoir également le droit de monter à la tribune... " Anne, heureusement ne montera pas sur l'échafaud comme elles, mais elle voudra " monter à la tribune ". En 1977, militante du Parti Socialiste, élue dans la municipalité Pesce, elle devient adjointe au maire de Valence, chargée de la culture. Pendant trois mandats successifs, elle impulse à ce poste une politique culturelle audacieuse. Qu'on en juge : création d'un service culturel municipal, de la médiathèque et de ses annexes, transfert de l'École d'Art à Valence-le-haut, du conservatoire au Polygone, création de "Valence, ville d'art et d'histoire ". J'arrête là pour ne pas trop faire souffrir sa modestie. Fidèle à ses idées sur le non-cumul et sur la limitation des mandats dans le temps, elle ne se représente pas après son troisième mandat.

En 1979, Anne Mazuray, élue conseillère générale du canton II de Valence, siège dans une assemblée encore bien masculine. Mon ami Jean-François Robert, historien, a repéré que de 1830 à 1998, la Drôme avait connu 400 conseillers généraux parmi lesquels 5 % de femmes, et seulement 4 depuis 1945 ! En 1982, Anne devient vice-présidente, responsable de la commission " culture " aux côtés de Maurice Pic. Là encore, je m'en tiendrai à quelques réalisations exemplaires : la Drôme a été le premier département de France à signer un contrat de développement culturel avec l'État. De cette époque date le réseau des médiathèques départementales, d'abord à Die, puis à Nyons, à Saint-Vallier et enfin à Crest. C'est également sous cette mandature, qu'est créée Mémoire de la Drôme.

En 1985, Anne Mazuray est battue au conseil général par l'étoile montante du moment… un certain Patrick Labaune. Elle sera également présidente de l'ADDIM (Association départementale de diffusion et d'initiation à la musique) alors dirigée par un académicien que nous avons accueilli récemment dans les rangs de l'Académie, Alain Brunet… Après le décès de Jean-François Robert, début 2003, elle co-préside en pleine parité et en bonne intelligence avec Alain Balsan, l'Institut Marius Moutet qui essaie de travailler sur la vie politique de la Drôme avec les bonnes volontés de quelques passionnés.

Mais ses engagements ne l'ont jamais détournée de ses passions : l'alpinisme et les voyages. Avec Guy, son mari et compagnon de cordée à la montagne comme dans la vie, ils ont gravis tous les sommets de l'Oisans…Audacieux, téméraires, ils ont parcouru avec leur voiture, souvent seuls, le pourtour de la Méditerranée et sillonné le Moyen-Orient. Ils ont grimpé sur les statues monumentales des bouddhas de Bâmyân en Afghanistan… aujourd'hui disparues.

Voilà qui occupe une vie, n'est-ce pas ? Ah, j'oubliais, si aujourd'hui la randonnée a remplacé l'alpinisme, Anne pratique toujours le ski et trouve le temps de lire bien sûr mais aussi de jouer du piano et de découvrir les expositions de toutes natures… Et quand on ne peut la joindre, en hiver, c'est qu'elle dévale des pistes de ski… au printemps ou en automne, c'est qu'elle est en Chine ou en Inde… et en été, c'est qu'elle crapahute sur quelque sentier alpin avec ses amis !

Et le reste du temps me direz-vous ? Le reste du temps, elle se repose... Elle se repose en écrivant, en donnant des conférences, en réglant mille et un problèmes administratifs, voire judiciaires pour telle ou telle association !

Aujourd'hui, je suis heureux et fier de lui voler un peu de son temps pour l'accueillir et vous demander de l'admettre au sein de l'Académie drômoise.

Réponse d'Anne Mazuray

Merci Lucien pour tout ce que tu viens de rappeler. Je reste profondément émue après tout ce que je viens d'entendre car cela me ramène à un passé plus ou moins lointain et me renvoie aussi à des êtres chers aujourd'hui tous disparus et la cordée que je formais avec mon mari est brisée.

Je voudrais aussi vous remercier tous de m'accueillir parmi vous au sein de l'Académie drômoise.

J'ai été très intéressée et admirative tout-à-l'heure, lorsque l'on a fait le tour de table, de vous entendre expliquer dans quelles actions vous êtes engagés actuellement - et ce, dans des domaines très divers. Quelle richesse pour l'Académie ! Cela me rappelait aussi le plaisir que j'avais autrefois, lorsque je parcourais la Drôme, à découvrir les diverses ressources qu'elle renferme, pas toujours connues ou reconnues. Heureusement, l'Académie contribue à les faire connaître.

Lucien a rappelé que je suis historienne et que j'ai aussi été une élue municipale et départementale.

J'avais l'habitude d'expliquer à mes élèves que l'historien et le politique ont un comportement différent par rapport à l'Histoire. Un historien se doit d'être objectif, d'analyser ses sources, de les critiquer, de montrer tous les aspects, sans exception, d'un événement ou d'un personnage. Alors qu'un politique ne prend dans l'Histoire que ce qui peut servir à sa démonstration pour convaincre, procédant souvent par omissions, parfois même par déformation de l'Histoire.

J'ai d'ailleurs été stupéfaite, ces temps-ci, d'entendre des fans de Napoléon Bonaparte attribuer à leur héros des mesures prises par la Révolution alors qu'il n'était pas encore au pouvoir, et d'entendre ceux qui le dénigraient ne retenir que la dictature et la France saignée à blanc. Ils s'écharpaient comme peuvent le faire certains politiciens actuels qui veulent soutenir un candidat à tout prix.

Et, dans la mémoire collective, les mythes et les légendes sont tenaces, faisant disparaître bien des éléments historiques. Les exemples ne manquent pas.

En outre, à l'échelle des communes, il faut essayer d'être vigilant pour que des pans du passé ne disparaissent pas et restent vivants dans le souvenir des habitants.

C'est ainsi que j'ai été heureuse, lorsque j'étais adjointe de Rodolphe Pesce, de pouvoir sortir de l'oubli la statue de Bancel qui dormait, le long du musée, sans bras, sous un tas de sable, depuis la fin de la guerre.

J'ai contribué aussi, à cette époque là, à rechercher où étaient passées les orgues de la cathédrale, disparition qui avait donné lieu à des interprétations rocambolesques. Puis, une fois les orgues retrouvées, ce qui fut particulièrement difficile, il a fallu les faire restaurer et, avant de les remettre à leur place, procéder au nettoyage et à l'éclairage de la cathédrale, le tout avec l'aide de financements croisés.

On peut déplorer, enfin, que dans certaines communes, des personnages ayant joué un rôle important dans le passé, aient disparu de la mémoire collective quand pas une place, pas même une ruelle ne portent leur nom. Je prendrai un exemple, celui de Belat à Valence. Il fut maire et conseiller général dans la deuxième moitié du xixe siècle. C'était un juriste qui a terminé sa carrière comme premier président de la Cour d'appel de Paris. Il a légué à la ville une fortune qui représentait plus que le coût de la construction de l'Hôtel de Ville et légué à l'Hospice de Valence ses meubles et ses objets d'art. En 1907, le conseil municipal avait donné son nom à la place des halles de la ville. Mais cette place a été débaptisée il ya quelques années et le nom de "place Saint Jean" qui concernait le parvis de l'église a été étendu à toute la place. Le nom de Belat a donc été rayé de la mémoire des Valentinois. L'idéologie sectaire ou l'ignorance font parfois des dégâts.

C'est pourquoi, je suis heureuse d'avoir pu contribuer, entre autres actions, à la création de Mémoire de la Drôme et de Valence Ville d'Art et d'Histoire qui, par un travail sérieux, apportent de solides éclairages sur notre passé.

Des monographies comme celle qui vient de paraître sur Taulignan sont essentielles et des revues comme la vôtre sont précieuses.

J'espère pouvoir encore un temps apporter ma petite pierre à toutes ces recherches.

Encore merci à Lucien et à vous tous pour votre accueil.

Diaporama

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