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Réception de Danielle Sonnier
Lucien Dupuis, Danielle Sonnier
Discours par Lucien Dupuis
La vie et la carrière de Danielle Sonnier sont si riches et si denses que j'ai pensé les raconter en quatre épisodes.
Épisode 1 - Une enfant de la Valloire
Danielle Sonnier a vu le jour dans l'appartement de fonction qu'occupaient ses parents, couples d'instituteurs laïques en poste à Saint-Sorlin-en-Valloire. Il était situé au second étage de la mairie-école. Danielle aime à dire qu'elle est née dans un Palais de la République. La fenêtre de sa chambre était entourée de colonnes corinthiennes. Dès le berceau, la culture hellénique imprègne son regard ! Prédestination ? Sans doute…
À l'école du village, la petite fille se lie d'une amitié indéfectible avec Monique, sa voisine. Sitôt la fin de la classe, toutes deux s'échappent dans les champs, au contact d'une nature toute proche ; confidences chuchotées, jeux mais aussi prétexte à contourner une éducation stricte, empreinte de rigueur.
Si bien que lors de la nomination de ses parents à Valence, la petite fille de la campagne découvre une vie urbaine inconnue et pas toujours facile pour elle. Elle poursuit brillamment ses études secondaires au collège Berthelot puis au tout nouveau lycée Camille Vernet dont elle vit l'ouverture. Elle obtient son bac en 1963. Ses disciplines favorites, grec, latin, anglais la conduisent naturellement à partir pensionnaire au lycée Edouard Herriot à Lyon où elle entre en hypokhâgne puis en khâgne.
Nouvelle étape, il faut oublier la jeunesse campagnarde et la vie valentinoise. Même si Danielle restera une éternelle adolescente toute sa vie, elle l'est encore un peu ! la voilà dans l'obligation d'affronter une vie d'adulte.
Épisode 2 - le tourbillon stéphanois
Après des études de lettres à Lyon II, une licence et une maîtrise de lettres classiques l'amènent au CAPES en 1968. Jeune agrégée de lettres classiques, elle est nommée en 1969 au lycée Simone Weil à Saint-Etienne où elle restera jusqu'en 1980. Entre temps, Danielle, mariée en 1966 à Michel Ferrier, Valentinois et professeur de lettres classiques devient maman de deux enfants, Jean en 1967 et Rémi en 1972 qui lui donneront plusieurs petits enfants très attachants.
Trois vies en parallèle ou plutôt, entremêlées, l'entraînent dans un tourbillon stéphanois, j'allais dire, le chaudron ! Le professeur bien sûr, la maman évidemment mais aussi l'activiste utopiste. Profondément humaniste, Danielle s'engage tous azimuts pour la transformation de la société. Pas seulement pour changer la vie, mais pour changer de vie. Irriguée par la vie intellectuelle parisienne, la culture post-soixante-huitarde occupe les esprits. C'est l'époque de la contestation, des débats interminables, houleux parfois, des nuits passées à défaire le monde, à le refaire jusqu'à ce qu'il soit "intellectuellement" idéal. L'objectif du moment : commencer par le déconstruire
et pour cela, tourner le dos au machisme, au patriarcat, au couple, à toutes formes d'inégalités… vie tourbillonnante… emploi du temps saturé entre les cours, les enfants, la vie en communauté, les sorties. Puis peu à peu, déceptions et scepticisme gagnent, l'idéologie s'éloigne, Danielle est disponible pour une autre vie. Saint-Etienne, c'est aussi la Comédie de Saint-Etienne de Jean Dasté. Curieuse de tout, aventurière, sa soif de culture l'amène à rencontrer et à fréquenter acteurs et artistes auprès de qui elle va vivre des expériences trépidantes et enrichissantes notamment avec Jacques Lelut, comédien, scénographe et plasticien.
Épisode 3 - Priorité à l'Éducation :
En 1980, Danielle est nommée au lycée du Parc à Lyon où elle enseigne le latin et le français en hypokhâgne et en classes préparatoires scientifiques. Sans négliger pour autant sa vie culturelle, la charge professionnelle exigeante l'absorbe complètement. Après 12 années passées au lycée du Parc, elle poursuit sa carrière au prestigieux lycée Condorcet à Paris où elle enseigne le latin et le grec en khâgne et où elle terminera sa carrière. Elle est alors décorée chevalier puis officier des palmes académiques.
Remarquée pour la qualité de ses traductions de textes latins, elle est sollicitée par des éditeurs. Je n'énumèrerai pas la longue la liste des articles et des oeuvres qu'elle a traduits et publiés, ce serait trop long. Vous la trouverez dans sa biographie. Parmi ses traductions, Pline l'Ancien Histoires de la Nature en 1994, Michaël Ranft, De Masticatione mortuorum in tumulis, et d'Eschyle en 2000, Les Perses en plusieurs petits volumes pour les éditions Allia. Citons encore, une conférence sur Mallarmé, de la langue anglaise à la langue poétique en passant par le latin à l'occasion du 200e anniversaire du lycée Condorcet en 2003. Elle traduit avec un collectif de bénévoles l'intégralité des 4151 Adages d'Erasme puis seule, un échange de pamphlets entre Erasme et Hutten, un luthérien allemand. Elle a l'impression d'avoir passé à ce moment-là, 10 ans de sa vie en compagnie d'Erasme qu'elle qualifie de premier Européen et dont elle a aimé la vaste culture, l'esprit de paix… et l'humour… qu'elle pratique elle aussi à merveille !
Épisode 4 - la liberté emplie d'Arts
Lorsque Danielle Sonnier quitte la vie professionnelle en 2007, elle a déjà vécu mille et une vies. Et sans attendre, elle entame les mille suivantes !
Elle retrouve sa Valloire natale d'abord épisodiquement puis désormais définitivement… quand elle n'est pas quelque part en France en visite dans une exposition, à rencontrer un artiste en son atelier, pour assister à un évènement théâtral, à un concert ou pour participer à un colloque…
Foin de la retraite ! Sollicitée dans le droit fil de son travail de latiniste, elle répond régulièrement à des demandes de traductions de textes latins de toutes époques et de grec ancien. Actuellement, elle prépare une anthologie de poèmes de Pierre d'Avity, (1573-1635) militaire, écrivain et géographe lié à l'histoire de Moras-en-Valloire dont on vient de restaurer la demeure Renaissance. Danielle donne des conférences aussi bien dans un village de la Valloire comme par exemple sur le patois local à la Chapelle de Surieu que dans le cadre de l'exposition un Regard sur l'estampe contemporaine à la Médiathèque de Villeneuve-lès-Avignon. Elle participe activement à plusieurs associations locales : le Patrimoine de Saint-Sorlin en Valloire ou Histoire d'histoires de Châteauneuf de Galaure. Et pour combler un hypothétique temps vide, on ne sait jamais, elle prend des cours de peinture et de paléographie ancienne
et moderne !
Secrétaire de l'association des amis du prieuré de Manthes dont Sylvaine Boige-Faure est la présidente, Danielle est aussi guide bénévole du monument. Elle s'est pleinement investie au côté de la présidente dans un vaste projet promu par la Fédération Européennes des Sites clunisiens : obtenir le classement des sites clunisiens au patrimoine mondial de l'UNESCO.
Pour compléter son temps, elle part régulièrement en séjours à l'Isle-sur-Sorgue pour épauler son compagnon Jean-François Jung, ancien professionnel de l'audiovisuel qui organise dans sa galerie personnelle de nombreuses expositions d'art plastique ou de photographie. Partageant avec lui une passion et une curiosité insatiable de découvertes et de la photographie de lieux patrimoniaux insolites voire abandonnés, ils allient ainsi le plaisir de petits voyages-découvertes... sans oublier l'amour de la musique tout autant du jazz, du classique ou de la chanson française comme de l'opéra.
Malgré son importante fréquentation des auteurs antiques, ne l'imaginez pas rat de bibliothèque car elle n'aime rien moins que l'aventure, les randonnées sac au dos, dont les plus beaux fleurons ont été l'une dans l'Atlas marocain et l'autre dans les Iles Eoliennes.
Bref, vous l'avez compris, Danielle Sonnier est une personne si multiple qu'un discours ne peut suffire à parler de toutes ses richesses. Vous la découvrirez vous-même telle qu'elle est : toujours curieuse de tout, cultivée et modeste mais jamais départie de son humour.
C'est pourquoi, Sylvaine et moi-même ainsi que tous ceux qui la connaissent parmi nos confrères, nous vous demandons d'accueillir Danielle Sonnier au sein de notre Académie drômoise des Lettres, des Sciences et des Arts.
Réponse de Danielle Sonnier
Bel exercice relevant de l'art encomiastique, comme disent les pédants, celui de l'éloge ! Mais derrière les éléments attendus et les figures convenues, je trouve de quoi être émue et reconnaissante à Lucien Dupuis, mon parrain. Car d'une part, il me renvoie à mon enfance saint-sorlinoise, libre et heureuse, et d'autre part il a connu ma famille, puisque mes parents étaient ses correspondants quand il était à l'École Normale de Valence, où mon frère Michel a été son condisciple. Et j'aime, comme lui, l'Histoire, et les Arbres, et les Eaux drômoises qu'il a superbement décrits et illustrés. Reconnaissante aussi à ma marraine, Sylvaine Boige, dont la mère Madeleine a partagé le banc de l'école primaire avec ma propre mère Suzanne : Suzanne et Madeleine, cela a quelque chose de biblique. À mon retour au pays natal, l'accueil de Sylvaine et son engagement depuis 40 ans pour la sauvegarde du Prieuré de Manthes m'ont permis, en rejoignant l'Association des Amis du Prieuré, d'en partager un peu l'action et de me réimplanter dans la Drôme avec des perspectives intéressantes.
Redonner vie à ce patrimoine clunisien jusqu'au projet actuel de participation à la candidature Patrimoine Mondial de l'Unesco a eu également le pouvoir de me tirer un peu de mes grimoires grecs, latins, médiévaux et Renaissance, ou plutôt de rassembler mes deux amours : Oui, les fenêtres de la mairie école de Saint Sorlin sont ornées sur la façade de colonnettes corinthiennes, au chapiteau un peu échevelé, mais il faut regarder les flancs du bâtiment : ils sont faits de galets roulés comme le Prieuré ; et moi aussi, je suis née du mariage de la colonne grecque et du galet roulé…
Il y a quelque chose d'un peu pré-funéraire à se pencher ainsi sur son passé pour résumer sa "vie antérieure". Mais somme toute, je suis rassurée, tout ce désordre fabrique un ordre assez cohérent dont le dénominateur commun est peutêtre le goût du furetage : Charles Fourier dans son analyse des Passions le mentionne, dans la catégorie dite de la passion papillonne. Il comporte le désir de chercher, de buter contre des énigmes, et parfois de parvenir à leur résolution, dans les oeuvres ou sur des vestiges, en alliant toujours travail et plaisir : la chasse pacifique aux textes rares et la traduction, comme enquêtes de détective, ou bien jeux d'enfant continués à l'âge mûr… Je me vois comme le "furet de la Valloire", à défaut d'en être le Furetière ! Les théologiens auraient dû dénoncer une libido quaerendi à côté des autres péchés répertoriés, la libido sciendi, la libido sentiendi, la libido dominandi…
Que soit ici redite mon infinie gratitude à l'égard de mes parents qui m'ont si bien fait connaître la langue française, qui m'ont appris à l'aimer, à l'enseigner, à la défendre, avec la crainte à présent qu'elle n'en vienne, comme langue d'une petite province du monde global, à partager la condition opprimée du patois de nos ancêtres (sur lequel je me suis un peu penchée en ces derniers temps) ! Que soient aussi remerciées tant de générations d'élèves qui m'ont obligée à travailler et à progresser toujours, et que soit salué ici mon ami Jean-François Jung, réalisateur et photographe, venu de L'Isle sur Sorgue, dont la conversation érudite et les expériences partagées ensemble me vivifient depuis plus de 30 ans.
Enfin j'espère par mes projets à venir touchant la Drôme ne pas décevoir les membres de cette Académie, et sa Présidente, Annie Friche, qui ont regardé avec bienveillance mon dossier d'impétrante, et permis de vous connaître, de vous rencontrer, parfois de vous retrouver : car je préfère ce genre de maillage à tous les réseaux informatiques.